Cottagecore Commissariat par Guillaume Sultana Galerie Sultana, Paris

"La galerie Sultana est heureuse de présenter Cottagecore, une exposition de peintures, de sculptures, de photographies et d'installations explorant les relations, les métaphores et les imbrications entre le corps, l'identité et l'environnement construit.

Les œuvres réunies ici sont présentées à l’aune d’une tendance esthétique éponyme qui a commencée à proliférer sur les réseaux sociaux au milieu des années 2010, parmi les adolescents et les jeunes adultes. Le cottagecore (cf. fairycore, farmcore et #cottagevibes) est le revivalisme romantique d'un mode de vie pastoral du XIXe siècle centré sur la vie domestique, caractérisé par des motifs floraux, des robes printanières, un goût de la pâtisserie, du jardinage et de la pratique d'un artisanat vernaculaire comme la broderie, le tricot, la poterie ou la fabrication de meubles. Les thèmes centraux incluent également l'autosuffisance, le soin, et l'exercice d'un temps de loisir généreux, comme les promenades dans les champs ou la lecture.

Bien qu'elle puisse facilement être considérée comme une évasion (la tendance a également été critiquée pour sa glorification de l'esthétique colonialiste et d'un mode de vie rural eurocentrique soutenu par la servitude forcée et l'oppression raciale et sexiste (1)), l'émergence du cottagecore reflète les angoisses d'une jeune génération confrontée à une société de plus en plus précaire, régressive et morose. De nombreux adeptes de cette tendance considèrent le cottagecore comme anticapitaliste dans son opposition à la vie urbaine et son désir de revenir à une temporalité plus autonome et cyclique. Particulièrement populaire parmi les jeunes LGBTQI+, le cottagecore célèbre des gestes associés au travail reproductif et d'artisanat traditionnellement considérés comme des tâches féminines et réimagine un certain type de domesticité au-delà des rôles de genre traditionnels et des valeurs hétéronormatives et chrononormatives. (2)

De la même manière, les artistes présentés dans Cottagecore s'engagent conceptuellement et matériellement dans ce que l'architecte et théoricien canadien Olivier Vallerand appelle "une vision queer de l’éspace" (3), dans la mesure où ils mettent en exergue les structures normatives souvent invisibles qui sous-tendent l'organisation architecturale de l'espace et du temps. Incorporant des matériaux et des sujets tirés de l'environnement immédiat des artistes, ainsi que des métiers associés à des pratiques féministes, domestiques et collectives, les œuvres juxtaposent et subvertissent le système binaire et genré des sphères publiques et privées.

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Comme une réponse aux métaphores architecturales délirantes de Fake, My Pals (2021) de Robin Plus présente un assemblage imposant, mais précaire, de palettes colorées empilées les unes sur les autres, qui raillent les immeubles d'habitation monolithiques en arrière-plan. La formation de danseur de Robin Plus, qui s’est ensuite tourné vers la photographie, se traduit dans ses images par une sensibilité particulière au corps dans l'espace, et aux forces positives ou aliénantes que l'environnement bâti peut exercer sur celui-ci. La documentation au premier abord sans détour d'un monde familier est subtilement détournée par la confusion volontaire des repères géographiques et du temporels. L'artiste met en scène ses amis et ses pairs de la scène queer — qu'il appelle affectueusement ses « créatures de la nuit » — dans une lumière naturelle de vastes paysages ouverts, contestant ainsi la relégation spatiale de la culture queer dans les marges et l'underground. Dans Cactus (2021) et Sunlight (2021), le corps est évoqué avec poésie, faisant allusion aux nombreux désirs et codes immatériels dont le lieu est chargé, et suggérant — peut-être — que nos corps imprègnent l'identité d'un espace tout autant que l'inverse.

La popularité du cottagecore a culminé en 2020 avec le début de la pandémie, alors que nous étions soudainement circonscrits à l'environnement immédiat de nos maisons. Les confinements mondiaux ont provoqué un évanouissement de la distinction spatiale entre les sphères publiques et privées, et ont temporairement éliminé le concept dialectique de centre et de marge, à travers la généralisation du travail à distance et la décentralisation des opportunités professionnelles des zones urbaines compétitives et coûteuses. Le confinement a non seulement attiré l'attention sur la façon dont notre environnement le plus immédiat — notre espace personnel et intime — nous influence et nous modèle, mais il a aussi déclenché une prise de conscience générale que tout, de l'endroit où nous vivons à la façon dont nous travaillons, en passant par la façon dont nous structurons notre temps est manifestement construit. En contrepoint à cela, Cottagecore propose un espace spéculatif dans lequel la parenté, le travail et le temps peuvent être repensés et refaçonnés."

- Mélanie Scheiner